lundi 28 mai 2007

Eva Joly

"L'ancienne juge d'instruction Eva Joly souhaite que la justice française ouvre une enquête dans l'affaire d'un compte qui aurait été ouvert au nom de l'ex-président Jacques Chirac à la Tokyo Sowa Bank en 1992, a-t-elle déclaré dans une interview publiée, vendredi 25 mai, dans le quotidien 20 minutes".

Cf. LEMONDE.FR du 25.05.07 | 13h58 • Mis à jour le 25.05.07 | 14h46


« J'attends que la justice ouvre une enquête sur le compte japonais »
Dans votre livre, vous parlez des « invulnérables », ces intouchables des affaires. Jacques Chirac sera-t-il selon vous un invulnérable ?
Si les institutions judiciaires françaises fonctionnent normalement , Jacques Chirac sera entendu sur les affaires non prescrites le concernant – les HLM de la Ville de Paris et les emplois fictifs du RPR – mais aussi sur son compte allégué au Japon. J’attends que le parquet de Paris ouvre une enquête sur cette affaire au vu du rapport de la DGSE et des derniers éléments recueillis par les juges d’Huy et Pons. Une démocratie digne de ce nom ne peut vivre avec cette suspicion non vérifiée.

L’ancien Président doit donc comparaître devant la justice ?
Il serait indécent de se soustraire à la justice par des méthodes d’étouffement . En 2003, Pierre Falcone [mis en examen dans l’affaire de vente d’armes « Angolagate »] a échappé à la justice en étant nommé ambassadeur à l’Unesco. Il serait indigne pour la France de chercher à l’avenir de telles solutions « à la chilienne » ou berlusconiennes. Le regard de la communauté internationale est tourné vers l a France.

Vous luttez contre la corruption pour le gouvernement norvégien. Un thème absent de la présidentielle française...
Des sujets très importants, comme la justice, l’Afrique, ou le codéveloppement n’ ont pas été abordés. N. Sarkozy a dit qu’il allait s’en occuper. J’espère qu’il tiendra parole et démantèlera par exemple les réseaux français en Afrique, ou ne permettra plus à des entreprises françaises d’avoir des comptes bancaires dans des paradis fiscaux.

Le chef de l’Etat en vacances sur le yacht d’un industriel, comme cela a été le cas pour N. Sarkozy, est-ce imaginable en Norvège ?
Non, les Scandinaves comme les Anglo-Saxons sont très respectueux de la séparation des pouvoirs et ne veulent pas donner prise au mélange d’intérêts industriels et politiques. Mais l’histoire du yacht est moins perturbante que le fait que le 8 mai, N. Sarkozy dîne avec Martin Bouygues, et que le 22 mai, son directeur adjoint de campagne Laurent Solly est nommé à la direction générale de TF1. M. Solly est sans doute un homme remarquable, mais cette nomination pêche contre l’idée des médias français indépendants du politique.

Les politiques français adorent pourtant citer le modèle scandinave...
Oui, j’ai remarqué. Mais ce modèle n’est rien d’autre qu’une démocratie qui fonctionne avec une justice et une presse indépendantes. En France, je crois que sur ces points, il faut être vigilant.

En 2003, vous déclariez : «Il ne fait pas bon être juge en France.» Et en 2007 ?
Je crois que ça s’est aggravé. La prise en main de la justice est vigoureuse, et le couvercle mis sur les affaires, très étanche. On ose par exemple nommer sans vergogne des proches du pouvoir à la tête de l’institution judiciaire, comme Laurent Le Mesle, ancien conseiller justice de Jacques Chirac, devenu procureur général de Paris. De telles pratiques ne semblent pas choquer l’opinion publique... Elle ne comprend pas bien les enjeux qui sont derrière. Malheureusement, en France, la population ne croit plus vraiment à une justice indépendante.

Si en 2002 vous étiez restée magistrate en France, que seriez-vous devenue ?
Je serais sans doute en train de m’occuper des contraventions dans une cour d’appel.

Etes-vous frustrée de votre bilan en France ?
Non, j’ai l’impression que l’affaire Elf a changé les choses en France, et que l’impunité a reculé... un peu.

Schibsted, copropriétaire de 20 Minutes.

Aucun commentaire: